Financial Stability Report exposition aux risques prêt hypothécaire faillite finances publiques

Cet article reprend les principaux points abordés dans la deuxième partie du webinar organisé par la Banque nationale le 04 juin dernier à l’occasion de la publication de son Financial Stability report. Tout d’abord, quelques remarques générales au sujet du rapport ont été abordées. Ensuite, l’exposé s’est centré sur l’exposition du secteur bancaire aux trois secteurs principaux de l’économie : les ménages, les entreprises non financières et le secteur public. L’exposé s’est terminé par une conclusion plus prospective au sujet des actifs dits « sans risque ». 

Remarques générales

Sur le plan économique, on rassemble souvent les tendances, risques et opportunités à moyen-long terme selon l’acronyme des 5 « D » : Démographie, Déglobalisation et Décarbonations représentent les 3 tendances qui impacteront les économies dans les prochaines décennies. La Dette (publique principalement) représente néanmoins une contrainte majeure, compte tenu des dépenses à engager pour faire face à ces tendances. Néanmoins, la Digitalisation de nombreuses activités, qui englobe également l’intelligence artificielle, représente une opportunité majeure pour trouver des solutions aux problèmes économiques posés, mais aussi pour renforcer la croissance économique (ce qui est en soit une partie de solution au problème de la dette).

Il n’y a pas nécessairement de hiérarchie à faire entre les 5 « D ». Ils forment un tout. Néanmoins, certaines thématiques sont davantage au-devant de la scène en fonction des circonstances. Et ceci vaut aussi pour le Financial Stability Report : des catastrophes naturelles liées aux changements climatiques ont déjà été un point d’attention pour les compagnies d’assurances, de même que le risque climatique pesant sur les portefeuilles de crédits des banques. En 2025, sans effacer ces défis, le thème de la déglobalisation domine. Evidemment, la politique protectionniste de D. Trump n’y est pas étrangère. Cette politique correspond à un choc économique négatif pour l’économie mondiale, mais aussi à un élément d’incertitude pesant sur le scénario économique. C’est donc inévitablement un risque à surveiller pour toute institution financière. Ce point est important et est largement discuté dans le rapport.

On soulignera également l’importance du rapport conjoint entre la Banque nationale et la FSMA au sujet du financement non-bancaire de l’économie (ce qui était maladroitement appelé « Shadow banking » par le passé). Certes, ce type de financement de l’économie reste minoritaire en Belgique et ne semble pas représenter un risque majeur pour le secteur financier. Mais sa croissance et les interconnexions qu’il a avec le secteur bancaire dans d’autres régions du monde incite à surveiller de près ses développements, non seulement d’un point de vue macroéconomique, mais aussi dans une logique de risque pesant sur le secteur financier.

Expositions des banques aux secteurs de l’économie belge 

Ces remarques générales faites, la suite de l’exposé s’est centrée sur l’exposition du secteur bancaire aux trois grands secteurs de l’économie : les ménages, les entreprises et le secteur public. Ces trois secteurs représentent la plus grande part des actifs et des passifs du bilan des banques (le solde étant composé d’expositions au secteur bancaire et à la banque centrale). Sans être exhaustif, le but est de mettre en lumière un aspect qui me paraît important par secteur et qui complète ou met en perspective les conclusions du rapport.

a. Ménages

Au niveau des ménages, la principale exposition des banques est bien entendu liée aux crédits hypothécaires. Tout d’abord, il me semble important de revenir sur les mesures prudentielles décidées il y a quelques années par la Banque nationale en matière de production de crédits hypothécaires. Ces mesures avaient fait l’objet de discussions politiques et de malentendus auprès de la population. L’idée selon laquelle la conséquence en serait l’impossibilité d’obtenir plus de 80% de la valeur d’un bien immobilier en crédit hypothécaire avait circulé, ce qui était loin de la vérité. Après négociations, un compromis avait été trouvé, maintenant l’esprit des mesures initiales tout en répondant aux doléances du gouvernement de mesures n’impactant pas l’accès au crédit des primo-acquéreurs.

Il est intéressant d’observer qu’avec le temps, ces mesures ont diminué l’exposition du secteur bancaire en matière de crédits en réduisant la part globale des prêts ayant une Loan-to-value très élevée. Mais, comme le souligne le rapport, une diminution du pourcentage de jeune primo-acquéreurs n’a PAS été observée dans la production récentes de crédits, ce qui était également l’objectif du compromis trouvé.

Ensuite, il me semble intéressant de regarder les derniers développements du marché immobilier. En effet, la hausse des taux d’intérêt depuis 2022 a déstabilisé plusieurs marchés immobiliers en Europe ces dernières années, entrainant une forte baisse de la liquidité du marché et des baisses de prix. Ceci pouvait représenter un risque pour la stabilité financière. En Belgique, la situation semble (une fois de plus) moins préoccupante : les prix n’ont pratiquement pas corrigé. Par contre, on a également observé une baisse du nombre de transactions, tant sur le marché primaire que secondaire et corolairement, la production de crédit hypothécaires a chuté : il faut remonter au début des années 2010 pour retrouver un niveau similaire de crédits octroyés à celui des deux dernières années.

Ceci étant, les dernières données disponibles sont plus encourageantes : le nombre de transactions sur le marché immobilier secondaire progressent un peu, de même que la production de crédits, et ce malgré le fait que les prix continuent d’augmenter. Il semble donc que le marché secondaire regagne en liquidité, ce qui évite que les prix ne donnent un signal faussé quant à l’état réel du marché.

On restera par contre attentif au marché des constructions neuves. Les prix y ont été poussé à la hausse par l’augmentation des prix des matériaux et les normes en vigueur, notamment en matière énergétique. Il en résulte une baisse constante du nombre de permis de bâtir demandés et octroyés et un ralentissement net de la construction neuve. Cela pourrait causer quelques problèmes d’accès futur au logement (par manque d’offre). Par ailleurs, le secteur de la construction subit de plein fouet le ralentissement de cette activité, ce qui peut également représenter un risque en matière de stabilité financière (voir infra).

b. Entreprises non financières

La question de l’exposition des banques aux entreprises peut notamment s’aborder par la question des faillites. Pour rappel, la période du Covid a été marquée par un moratoire sur les faillites (une entreprise pouvait toujours faire aveu de faillite, mais les administrations – ONSS, TVA – s’engageaient à ne pas citer les entreprises en faillites). Cette période étant révolue, le nombre de faillites a retrouvé son niveau d’avant-crise, et l’a même dépassé, en raison d’une part d’un effet de rattrapage (des entreprises qui ne sont pas tombées en faillite durant le Covid en raison du moratoire n’ont vu leur vie que prolongée, la faillite étant in fine inéluctable) et d’autre part en raison de la faible croissance économique des dernières années. Depuis 2022, on peut estimer que le nombre de faillites a dépassé la tendance de 1.500 unités environs, sachant que la période du Covid s’était soldée par 6.500 faillites de moins que la tendance.

Au niveau macroéconomique, l’augmentation observée du nombre de faillites n’est, pour l’instant, pas préoccupante. Du moins, elle correspond à ce qui était attendu. Rappelons à ce titre que sur un cycle économique, l’économie belge est marquée par plus de 10.000 faillites par an. Par contre, la situation de certains secteurs est problématique. On observe en effet une très forte hausse (et un fort surplus par rapport à la tendance) du nombre de faillites dans le secteur de la construction (en lien avec la hausse des prix des matériaux et la baisse de l’activité de la construction résidentielle) et dans le secteur du transport routier. D’autres secteurs sont également touchés, mais leur situation est moins préoccupante ou est en passe de se stabiliser. Vu sous l’angle des faillites, ces secteurs sont de nature à représenter un risque en matière de stabilité financière. A tout le moins, leur situation doit être suivie.

c. Secteur public

Enfin, l’exposition des banques au secteur public est importante, au travers de crédits et de détention d’obligations émises par les différents niveaux de pouvoir. A ce titre, l’évolution des finances publiques de la Belgique est donc cruciale, non seulement pour la trajectoire macroéconomique du pays, mais aussi pour la stabilité financière.

Les dernières années ont été marquées par une nette dégradation des finances publiques. Certes, les chocs importants (Covid, guerre en Ukraine,…) ont nécessité d’augmenter des dépenses ou ont empêché la hausse de certaines recettes. Néanmoins, ces deux dernières années, à la différence d’autres pays, les finances publiques belges ne se sont pas vraiment améliorées. Que du contraire. Il en résulte une situation préoccupante alors même que de nouveaux défis se présentent en matière géopolitique, en matière climatique et en matière de vieillissement de la population (ceci rejoint les propos introductifs et les 5 « D »).

Cette situation a déjà mené la Commission européenne à engager une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la Belgique en 2024 et il est fort probable que les agences de notation sanctionnent la Belgique par une dégradation de sa note souveraine (ce que l’agence Fitch a concrétisé en juin dernier). Bref, la situation des finances publiques est assurément un point d’attention en matière de stabilité financière.

En guise de conclusion : une réflexion sur le risque

Ceci m’amène naturellement à ma remarque conclusive. Les dettes d’Etat sont, dans les marchés financiers et pour la plupart des économies, considérées comme les actifs « sans risque ». C’est donc la balise de nombreux taux d’intérêt pratiqués dans une économie. Ceci engage donc la responsabilité des gouvernements. La soutenabilité des finances publiques ne détermine pas uniquement la charge d’intérêt sur la dette publique, mais également le coût de financement de l’ensemble de l’économie. En effet, la crise de la dette dans la zone euro au début des années 2010 a clairement montré que l’augmentation de la prime de risque vis-à-vis d’un Etat se soldait également par une augmentation du coût de financement de toute l’économie.

Autrement dit, l’actif sans risque est une pièce maîtresse de l’architecture macro-financière d’un pays. C’est une raison de plus pour assurer la confiance dans la soutenabilité des finances publiques, et donc pour engager les réformes nécessaires.

Pour terminer, je soulignerais que sur le plan international, on assite également à la mise à mal d’autres actifs « sans risque » qui servent de balises dans les marchés financiers. L’incertitude entourant les intentions du président américain D. Trump au sujet de la dette américaine et du dollar n’est pas anodine. De tous les actifs, l’obligation d’Etat américaine et le dollar ont, depuis la seconde guerre mondiale, été considérés comme les actifs sans risque sur le plan international. Mais la volonté à peine voilée du Président Trump de déprécier le dollar ou de le mettre en compétition avec des crypto-monnaies est déstabilisante. De même, l’accumulation future de déficits public liés au « One Big Beautiful Bill » interroge sur la capacité future des Etats-Unis à maintenir une trajectoire soutenable de leur dette. Bref, le « sans risque » d’hier et d’aujourd’hui n’est pas nécessairement le « sans risque » de demain, et nous vivons une période ou beaucoup de certitudes tombent à l’eau. Pour les garants de la stabilité financière, c’est un important défi pour les prochaines années.

Auteurs

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Philippe Ledent

Expert Economist ING Belgium